Bonjour,
Nous nous adressons à vous en tant que
[responsable politique] [député] [députée] [responsable syndical] [responsable syndicale] [responsable associatif] [responsable associative] [journaliste]
afin de vous alerter sur la situation désastreuse de l’École en France. La crise sanitaire n’en est pas la cause, elle n’a fait que révéler l’impéritie ministérielle qui cumule erreurs graves et décisions dont la seule cohérence semble celle d’une destruction programmée d’une véritable « éducation nationale ». Les personnels sont à bout, ils n’en peuvent plus d’être méprisés, ignorés. Les élèves, les parents nous appellent au secours.
Le texte que nous vous faisons parvenir : « Destruction programmée de l’Éducation nationale ! Ripostons ! » appelle à une prise de conscience et à des engagements concrets pour penser et construire l’avenir.
Nous donnons la parole à toutes et tous les enseignant·e·s, de la maternelle au supérieur, le mardi 26 mars de 17h à 19h : « ça suffit ! Prenons la parole« . Et nous vous invitons à venir les entendre, les écouter, et à prendre position. Nous reviendrons vers vous après cet évènement pour vous interroger sur votre prise de position.
Associativement vôtres,
Dominique Bucheton et Viviane Youx, vice-présidente et présidente de l’AFEF (Association française pour l’enseignement du français, membre de la FIPF)
Destruction programmée de l’Éducation nationale ! Ripostons !
Quelques mots d’abord, ceux d’enseignants, d’élèves, de formateurs évoquant ce qui se dit, se passe dans les établissements. Ils parlent, en vrac : de violence institutionnelle, de mensonges d’État, de désespérance, de piège dans lequel ils se sentent enfermés, d’asservissement des intelligences, de détresse profonde des élèves de troisième et du bac, de massacre-bérézina de la formation, de confiscation de la parole, d’inégalités débordantes, de caporalisation. Ils parlent de rage, de lassitude, d’angoisse, de désespoir. Ils parlent aussi du silence, de leur attachement aux élèves, de la souffrance cachée, du repli, de l’isolement, de la résignation, de la fuite inquiétante de certains collègues.
Un climat scolaire houleux, fragmenté par les discours ministériels et médiatiques
Le salmigondis des derniers aménagements imposés sans concertation pour le grand oral, les épreuves du bac de français ou au contraire l’absence d’ajustement pour le brevet des collèges et le bac pro, provoque la stupeur et fait déborder la colère. Les inégalités entre élèves devant l’examen deviennent la nouvelle norme : ceux des établissements publics ou privés « chics » ou ceux de banlieues pauvres n’auront en réalité pas le même diplôme, ni ensuite les mêmes chances à Parcoursup ! Les uns auront eu une scolarité quasiment normale, les autres viennent de perdre près de deux ans de cours avec la pseudo-continuité pédagogique (pur mensonge politique pour rassurer les familles qui ne sont pas dupes).
Une longue entreprise de dézingage de l’Éducation nationale
En réalité ce dernier épisode, habillé d’une fausse bienveillance populiste mensongère et purement électoraliste, s’inscrit dans une longue entreprise désastreuse pour l’avenir de l’Éducation nationale. Il a le mérite de révéler encore une fois le mépris profond et la maltraitance du ministre à l’égard des élèves mais aussi de leurs enseignants sommés de se livrer, à vitesse express et contre toutes leurs convictions professionnelles, à un bachotage inepte où le cours du prof est plus important que l’œuvre étudiée et parfois non lue. « On n’instruit pas, dit l’un d’entre eux : on asservit les élèves, j’enrage, j’en ai honte pour moi ! ».
Allons au-delà, et jetons un regard pour mesurer l’avancée de l’entreprise gouvernementale. Depuis l’élection du président Macron, pas à pas, décret après décret, chacun pris sans débat ou avec un « faire semblant de », l’Éducation Nationale est démembrée, désossée, vidée de ses valeurs républicaines fondamentales, de ses enjeux éducatifs, de ses contenus culturels. Elle est déshabillée des formes de concertation syndicales et associatives, qui fondaient le contrat social et éducatif de la nation, la cohésion et la cohérence de l’action de ses acteurs, la clarté des missions de chacun.
Le projet est méthodique. L’entreprise de destruction violente et détaillée s’attaque tous azimuts à tous les strates et modes de fonctionnement du système : programmes, examens, système d’orientation, formation, recrutement. Tous les corps de métier sont visés et priés de se taire et d’obéir sous peine de sanctions : enseignants, directeurs, conseillers pédagogiques, conseillers d’orientation, formateurs, corps d’inspection, etc. L’objectif plus ou moins avoué est de trier, sélectionner les élèves, repérer les futurs premiers de cordée, pour une école à deux vitesses, faire des économies conséquentes. Et pour cela caporaliser, réduire toute liberté pédagogique, enfermer les enseignants dans un système de normes imposées, de modèles standards éventuellement numérisés. Privatiser le plus possible. Inutile pour les enseignants de penser, d’inventer, de créer, de s’ajuster aux situations, aux élèves, aux évènements ! Inutile de former les enseignants, sauf à obéir aux « instructions » et « évaluations programmées nationalement.
Pour mémoire, quelques attaques rappelées brièvement :
- Des enseignants jugés et sanctionnés depuis la loi de septembre 2019 sur la liberté de penser et d’exprimer un point de vue critique sur le système éducatif ;
- Une attaque frontale de la culture à l’école primaire : un recentrage sur « les fondamentaux » au détriment de la curiosité, de la créativité, de l’autonomie et de la culture dans toutes ses dimensions ;
- En maternelle : les tests avec le retour du rêve sarkosyste de repérage, fichage dès l’entrée à l’École ; introduction précoce des apprentissages scolaires au mépris du développement hétérogène des jeunes enfants ;
- Une réforme du lycée ratée dans ses objectifs d’ouverture à une pensée complexe et une culture vivante et multiforme nécessaires aux futurs professionnels et citoyens ;
- Parcoursup : ce système jamais voté montre déjà ses limites par les inégalités entre dossiers selon les établissements d’origine ;
- La réforme de la formation des futurs enseignants sera appliquée dès la rentrée sans aucune concertation ; un délire fou, un désastre, une machine infernale (mots entendus chez les chercheurs, formateurs, cadres institutionnels) ; une déstructuration qui évacue le corps mixte des formateurs, chercheurs, pédagogues, didacticiens, et met à disposition un volant de stagiaires vacataires sous-payés, bouche-trous dans les classes ;
- La caporalisation de la gouvernance du système : un décret récent renforce les fonctions de contrôle et d’évaluation des chefs d’établissement.
Une riposte urgente
Et tout cela pour quoi ? Une stratégie de carrière politique du ministre actuel de l’Éducation ?
La démonstration que le « passage en force », sans concertation, ni lois, sur le la plus grande institution de la République peut « dégrossir le mammouth » et liquider l’idée même d’une fonction publique avec ses règles, ses fonctionnements démocratiques, ses valeurs ?
Une conception néo-libérale de l’éducation largement répandue dans d’autres pays européens ou outre-Atlantique ? Un calcul électoral pour gagner les voix des nostalgiques d’une École du passé ? Pour diviser l’opinion, diviser pour régner ? Le projet d’une École encore plus ségrégationniste ?
Notre École, notre institution s’en remettra-t-elle ? Pas sûr si on ferme les yeux, les bouches et les oreilles ! Que faire devant ce qu’on peut appeler une violence institutionnelle sans pareille !
L’heure est à la riposte, à la liberté pédagogique créative, responsable, singulière dans sa classe, à la discussion collective dans l’établissement, les instances syndicales, associatives, politiques. Il faut sauver ce métier, sauver l’institution, son projet émancipateur, ses valeurs fondatrices. Elle est l’avenir d’une nation commune ouverte.
Dominique Bucheton et Viviane Youx, vice-présidente et présidente de l’AFEF